L’accompagnement spirituel — Manrèse, centre spirituel jésuite en Ile-de-France

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L’accompagnement spirituel

Discerner la vie qui se donne 

P Paul Legavre, jésuite et directeur du Centre spirituel jésuite d’Ile de France, Manrèse (Clamart)

Le récit de l’adoration des rois mages, proclamé à l’Épiphanie, est une belle parabole de ce qu’est le discernement, en ses différentes dimensions. C’est une étoile qui a mis en route les mages, il leur a fallu discerner son importance, son éclat unique, et la naissance qu’elle signait dans le ciel. Mais l’étoile ne fait pas tout ; arrivés à Jérusalem, les mages interrogent les autorités : Où est le nouveau-né, le roi des juifs ? À son tour, Hérode questionne : Où doit naître le Messie ? Ce ne sont plus le ciel et les astres qui sont alors scrutés, mais les Écritures : À Bethléem en Judée ! Cela ne suffit pas non plus : il ne s’agit pas d’abord de s’informer avec précision sur le petit enfant comme leur recommande Hérode, ce sont la fidélité à ce qui les a mis en mouvement ainsi que la joie qui vient de Dieu, qui vont leur permettre de discerner où est le petit enfant : là où l’étoile vient se tenir.  En voyant l’étoile, ils se réjouissent d’une très grande joie. Ce savoir, cette fidélité, cette joie les amènent à se prosterner et à offrir les présents qui discernent en ce petit enfant la manifestation de Dieu même : l’or est offert au roi, l’encens au Dieu, la myrrhe à l’homme crucifié. Ultime discernement, ensuite : celui de la fausseté d’Hérode, et la décision de regagner leur pays par un autre chemin.

La boussole de la joie

Parce que la joie est la marque de Dieu, et très particulièrement de la présence du Ressuscité, elle joue un rôle essentiel dans la vie spirituelle et en tout discernement. Car c’est à la joie que se connaît et se reconnaît la volonté de Dieu. C’est bien ce que vivent les mages, quand ils trouvent l’Enfant. Réalisons-nous assez que pour cela, notre boussole, c’est la joie qui vient de Dieu, cette joie très particulière que la tradition spirituelle nomme la consolation ? 

Ainsi, pour un diacre permanent, quelle mission privilégier, quels arbitrages opérer entre la vie professionnelle, la vie personnelle, conjugale et familiale, et les différents appels reçus ? C’est dans l’expérience de la joie reçue d’un Autre, la joie qui vient de Dieu, que nous apprenons à relire les traces de Dieu dans notre existence, et que nous pouvons éprouver la justesse et la vérité des choix posés. Le père jésuite Pierre Gouet écrivait : « La consolation est un trait de foi, d’espérance et de charité qui nous traverse à certains moments. C’est le fait d’être touchés, affectés par la Parole de Dieu. C’est le goût pour les choses de Dieu. » Pour nous ajuster à la volonté de Dieu, il n’y a pas d’autre chemin que l’attention aux alternances des mouvements intérieurs de joie et de tristesse qui viennent signer la réalité du quotidien, notamment quand ce quotidien est habité par une question importante qui nous met en position de choix, de discernement. 

Au cœur de toute retraite, de tout discernement

Le père jésuite Maurice Giuliani écrivait dans un grand article de Christus sur « les motions de l’Esprit »  qu’il s’agit de « sentir intérieurement, discerner le sens et chercher la confirmation », pour choisir ce qui conduit davantage à la vie, ce qui va nous donner d’aimer davantage. C’est cela, finalement, l’enjeu d’un discernement, notamment lors d’une retraite selon les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola : Prier avec la parole de Dieu, se laisser toucher par elle, et pouvoir parler quotidiennement à une accompagnatrice ou un accompagnateur. Ce dernier est un témoin ecclésial qui marche à nos côtés ; il nous propose un chemin dans les Écritures qui nous met à la suite du Christ, dans une dynamique de conversion ; il écoute ce que suscite la prière en nous ; il nous confirme dans l’expérience de la joie qui vient de Dieu, et dont l’accueil passe souvent par un combat intérieur. Dans les choix que nous avons à faire, nous sommes en effet entravés par des attachements désordonnés. A commencer par une générosité débordante, ou la culpabilité de ne pas en faire assez. Ces attachements nous tirent en arrière ou vers le bas, et peuvent fausser notre jugement, à l’heure de la décision. Si nous les regardons dans la force de l’Esprit, une purification intérieure peut se vivre, et une route se dégage vers davantage de vie et d’amour. Puis, dans la contemplation du Christ des Évangiles, dans l’accueil intérieur de ses manières de faire, nous sommes conduits finalement à un carrefour dans notre existence : choisir Dieu dans le mouvement même où nous faisons l’expérience de nous laisser choisir par Dieu. 

Se laisser choisir par Dieu

J’accompagne volontiers des pèlerins en Terre sainte. Dans le jardin de l’abbaye bénédictine d’Abou Gosh (Emmaüs), un espace étonnant de beauté et de paix est dédié au Cardinal Jean-Marie Lustiger. Entre de petites pièces d’eau couvertes de nénuphars, quelques tablettes de terre cuite ouvrent à la méditation. Joëlle, une adolescente, était en grande interrogation sur la foi ; elle est tombée en arrêt sur une phrase : « La foi, c’est accepter d’être choisi par Dieu, ce n’est pas choisir Dieu ». Quelques mois plus tard, elle a décidé de faire sa profession de foi. 

Cette formulation paradoxale nous ouvre au sens le plus profond du discernement spirituel. Dans la vie chrétienne, en tout grand choix, décider ne va pas sans d’abord se décider pour Dieu. La tradition spirituelle nous apprend qu’on ne choisit pas entre le bien et le mal : on combat ce qui est mal ! Le discernement, à proprement parler, porte sur ce qui est bon : Entre deux choses, deux solutions également bonnes (et reconnues telles par l’Eglise), nous avons à percevoir ce qui nous aidera à aimer davantage, à marquer une préférence pour Dieu. En vérifiant que ce ne sont pas « l’amour propre, la volonté propre, ou les intérêts propres » (« Exercices spirituels ») qui nous font agir, mais bien une préférence amoureuse pour le Seigneur de nos existences. 

Dans toutes nos propositions, au centre spirituel Manrèse, c’est cette dynamique du choix de Dieu qui est à l’œuvre. Nous proposons des retraites selon les Exercices spirituels de saint Ignace, sous des formes différentes ; nous formons de nombreux acteurs ecclésiaux à l’accompagnement spirituel, dans la belle diversité de leurs états de vie ; nous accompagnons aussi chaque année des centaines de couples. Ainsi, en amont du mariage chrétien, nous invitons des jeunes adultes qui sont ensemble depuis quelques mois voire quelques années et qui hésitent à s’engager : « Est-ce bien lui, est-ce bien elle ? » Pendant deux jours, ils vont faire le point sur leur histoire, accueillir ce qu’ils sont, profondément, envisager l’avenir et se déterminer en vérité. Des formes d’exercices spirituels, à l’aide de questionnaires, permettent d’entrer en soi-même puis de s’interroger mutuellement, devant Dieu. Une pédagogie semblable offre à d’autres couples de venir approfondir les fondements humains et spirituels du mariage chrétien qu’ils préparent ; et à d’autres de vivre des temps d’étape sur la route de leur alliance en Dieu.

En toute proposition, nous mettons en œuvre notre manière de procéder : « accompagner des libertés ». Liberté de marcher vers l’étoile et vers la joie, liberté de refuser le chemin du roi Hérode, liberté de s’engager pour Dieu, en s’offrant à lui qui le premier nous a aimés et nous a choisis.

Revue Diaconat permanent n° 204, février 2020 (dossier « Le discernement, entre volonté de Dieu et liberté de l’homme »)

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